Je serai un pèlerin après la pandémie

Heureusement, je peux quitter ma maison, mais pas sans quelques restrictions ! L’enfermement restera dans ma mémoire et je devrai certainement endurer toutes les conséquences qui auront également des répercussions sur la société dans laquelle nous vivons.

Le Pèlerin (António Cristóvão)

Dans un environnement d’enfermement, notre cerveau salivait avidement pour un après, afin de pouvoir goûter la liberté. Nous n’oublierons guère comment nous vivions auparavant et, dans l’angoisse, nous nous posions des questions naïves, telles que : saurai-je encore conduire la voiture, faire du vélo, peut-on encore voler ?

Notre cerveau continue de fonctionner et d’établir le registre des désirs. Prendre note de ce qui nous manque, de ce que nous espérons voir, revoir et vraiment faire avec la famille, les amis, les collègues, les voisins, et nous ne voudrions pas communiquer uniquement avec eux par la fenêtre du téléphone portable ou faire un signe de la main au voisin et applaudir à huit heures du soir ceux qui n’abandonnent pas nos amis et notre famille qui souffrent. Tout le monde se demande ce qu’on va faire après cet enfermement très forcé. J’ai déjà pris ma décision et j’ai hâte de la concrétiser.

Après cette tragédie, je vais prendre le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle et penser à nos frères qui sont morts dans cette lutte inégale pour la santé. Je passerai par Barcelone. J’entrerai dans l’église de la Sainte Famille et, agenouillé, je reconnaitrai que je ne suis rien dans cette vie et que, lors d’un prochain virus, ce sera mon tour.

Après, j’irai en Italie. Lorsque je franchirai la frontière, je m’assiérai au premier restaurant et je commanderai une assiette de spaghetti à la bolognaise, mon plat préféré. Je ne pourrai pas montrer la joie de me retrouver dans un pays que j’aime tant, avec la crainte de blesser la douleur que je retrouverai certainement dans chaque famille. Oui, je vais aller à Bergame pour exorciser les images des tas de cercueils qui, pendant plusieurs nuits, ne m’ont pas laissé dormir. J’irai à Rome et quand je franchirai le portail de la Basilique Saint-Pierre, devant la statue de la Piéta de Miguel Angelo, je fixerai le visage de la mère du Christ et de mes lèvres le cri de désespoir jaillira : mon Dieu pourquoi nous as-tu abandonnés ?

Après, je visiterai les tombes des membres de ma famille à qui je n’ai pas pu donner un mot de réconfort, ou même faire un signe de loin, comme un dernier adieu.

Après, je vais caresser le visage, embrasser la main et donner toute l’affection aux amis et aux proches qui ont résisté dans les maisons de retraite et se sont privés de ma présence et de mon affection pendant si longtemps.

J’aurai besoin d’un moment de deuil et de larmes pour nettoyer tant de douleur. Quelle malédiction est tombée sur nos parents et grands-parents qui sont morts si seuls pour ne pas contaminer ceux à qui ils ont donné la vie ?

Ensuite, personne ne pourra oublier de rendre hommage à ces braves aînés qui ont reconnu que la vie est un passage et qu’il vaut mieux pour les plus jeunes de continuer à vivre. Et dans toutes les villes, un monument doit être érigé avec l’épitaphe méritée de la reconnaissance éternelle :

« À nos chers aînés qui ont donné le ventilateur aux plus jeunes, préférant se laisser mourir ! »

(Joaquim Tenreira Martins)

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Seven Writers. Three Languages. One City.
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