Rendez-vous derrière les lignes

« Cette fois-ci c’est la bonne, j’en suis sûr ! , se répétait John, comme pour conjurer le sort. Ces rencontres en ligne me font vraiment du bien, maintenant ça va marcher. »

Ses dures années de célibat lui semblaient bientôt derrière lui. Il avait très rapidement flashé sur le profil d’une belle inconnue. Une de plus, peut-être. Ou peut-être pas, car celle-ci était vraiment différente, en tout cas il le croyait avec fermeté.

Quelques mots échangés chacun derrière l’écran, et voilà déjà le premier rendez-vous promis. Tout s’est passé très vite, peut-être même trop vite. Car c’est le moment de tous les dangers, celui où il faudra quitter l’écran et se dévoiler en chair et en os. Et se présenter sous son plus beau jour.

John voulut mettre tous les atouts de son côté. Il enfila sa plus belle chemise et alla acheter un immense bouquet de fleurs, de toutes les couleurs. « Les fleurs, ça fait toujours fondre les filles », pensait-il en son for intérieur, et il s’imagineait déjà tous les bonheurs à venir aux côtés de celle dont il ne connaissait encore que très peu – un pseudo, une photo aguichante, quelques caractéristiques biographiques, et les quelques monosyllabes qu’elle avait utilisées en réponse à ses questions – mais cela, il s’en moquait, car dans sa tête il avait déjà construit tout un univers, et son imagination lui faisait combler tout ce qui manquait dans sa connaissance de l’autre personne.

Rendez-vous à 16 heures à la place Bockstael, à l’endroit des fameuses lignes sur le sol. John connaissait mal cet endroit, mais ce n’est pas grave. Arrivé déjà à 15 h 30, il eut tout le loisir de faire leur connaissance. De curieuses pierres blanches créant plusieurs lignes parallèles dans un revêtement de pierres rouges. On dirait presque une piste d’athlétisme, en pleine ville. Curieux endroit pour un premier rendez-vous, se dit-il, mais peut-être que sa promise habite dans le coin, et puis, sans doute qu’elle aussi a quelques craintes et préfère un lieu public et animé, et où elle pourrait s’échapper aisément.

John fait les cent pas le long des couloirs d’athlétisme, dans un sens puis dans l’autre, sans cesse, jetant un coup d’œil à sa montre toutes les minutes. 16 heures, puis 16 h15 déjà. « Elle est sans doute en retard, pense-t-il, sans perdre son optimisme, je suis sûr qu’il ne peut en être autrement. Ces 15 petites minutes de retard ne sont rien au regard de la vie de bonheur immaculé qui nous attend. » Mais les minutes s’écoulent et John ne voit toujours rien venir. Prenant son courage à deux mains, il accoste de temps en temps une passante, lui demandant si par hasard elle serait la fameuse « kylie3459 » avec laquelle il a rendez-vous. Sans succès, et d’ailleurs, aucune ne correspond vraiment à la description du profil : grande, blonde, sportive…

Plus les minutes s’égrènent et plus le moral de John diminue. Les « Je suis sûr que ce n’est pas de sa faute, elle a sans doute dû avoir un imprévu » du début ont cédé la place à « J’aurais dû me méfier, c’était trop beau » et désormais son esprit rumine des « De toute façon, c’est toujours la même chose avec ces filles-là, elles vous aguichent mais se défilent au dernier moment, et si ça se trouve c’était un faux profil et cette fille n’existe pas ». Les lignes au sol qu’il continue d’arpenter, de plus en plus lentement, lui apparaissent soudain comme le symbole de la trahison ultime, cette fille semble vraiment s’être moquée de lui. Tout ça pour ça ! 17 h 20 déjà, il n’y a plus aucune chance qu’elle arrive, et le voilà qui lorgne déjà sur la poubelle de l’autre côté de la rue, où il compte jeter ses fleurs.

Soudain, alors qu’il tourne la tête, une silhouette de jeune femme lui apparaît. Elle est jeune, petite, brune, vêtue de noir, et se tient immobile sans prêter attention à lui. Il s’approche prudemment et vient à sa rencontre :
« Bonjour, seriez-vous kylie3459, par hasard ?
— Euh, non, pas du tout, répond la fille, je m’appelle Marie.
— D’accord. Dites-moi, Marie, vous aimez les fleurs ? »

Yves

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