Lettre au Néandertal

Cher Néandertalien/Chère Néandertalienne,
J’aurais tellement souhaité te connaître. Notre rencontre aurait sûrement été enrichissante si, hélas, tu ne t’étais malencontreusement pas éteint il y a plus de 30 000 ans. Cela fait un sacré retard pour un rendez-vous en tête-à-tête, je sais.
Je m’en excuse humblement mais ce retard n’est aucunement ma faute. L’Homo sapiens est arrivé en Europe longtemps après toi. Il avait encore quelques soucis d’évolution à régler en Afrique avant d’oser une sortie vers d’autres territoires. Il valait d’ailleurs mieux qu’il y reste le plus longtemps possible puisque c’est probablement son arrivée qui a précipité ta chute. Pour cela aussi, je te demande pardon.

Illustration by Elisa Perl


Pourquoi ce désir de te rencontrer ? Pour moi, c’est une évidence. Tu es un cousin lointain, si proche et pourtant différent. Nous partageons 99 % de gènes. N’est-ce pas fascinant ? Tu es plus fort physiquement que moi, ce qui n’est pas difficile, je l’admets, puisque je ne prétends pas avoir une carrure de boxeur. Il paraît que tu ne crains pas le froid glacial alors qu’il me faut un lit chaud et des chaussettes pour dormir. C’est grâce à toi que ma peau est blanche et que j’ai des yeux bleus puisque tu m’as gracieusement prêté quelques-uns de tes traits. Je ne saurais assez te remercier pour cela. Je suis celle que je suis aussi grâce à toi.
Où aurais-je proposé de te rencontrer ? Je ne te connais pas assez bien, alors je t’aurais donné un rendez-vous dans un café. On nous aurait sûrement regardé bizarrement, moi, une fine femme blanche, accompagnée de toi, trapu et puissant. Je ne sais pas si tu aurais préféré un café ou une bière. Pour moi, cela aurait été un thé, je ne bois que cela. Ou qu’aurais-tu dit d’une bouteille de champagne pour fêter cette rencontre inespérée ? Les bulles t’auraient sûrement plu, tu n’en as pas l’habitude mais tu es curieux et avide de nouvelles connaissances.
Les scientifiques t’avaient pendant longtemps pris pour une brute ignare mais comme tu es loin de cette image primitive ! En même temps que nous, les Homo sapiens, et indépendamment de nous, tu as maîtrisé le feu et tu as inventé les mêmes outils pour adoucir ta rude vie. Tu enterrais tes morts, comme nous, et tu aimais l’art et les parures. C’est tellement humain ! Ta spiritualité était sûrement plus développée que celle de mes contemporains du XXIe siècle. Nous, nous croyons aux images dont nous inondent les écrans alors qu’à toi, elles te viennent spontanément. Ton esprit est resté libre et créatif. Sinon, tu ne survivrais pas.
Pardon ! Que c’est indélicat de ma part… En fait, tu n’as pas survécu. Mais il valait mieux, je t’assure. Si tu étais resté parmi nous, j’imagine avec effroi le sort que l’Homo sapiens t’aurait réservé. Tu aurais le plus probablement été cantonné dans des réserves hostiles et presque inhabitables comme l’ont été il n’y a pas si longtemps les Indiens d’Amérique du Nord. Les animaux y auraient manqué et tu aurais vécu de conserves plutôt que de la chasse. On aurait envoyé tes enfants dans des écoles, loin de toi, pour les arracher à ton influence prétendument néfaste au nom du progrès social. Si on t’avait laissé travailler, tu aurais fait des jobs des plus pourris dont personne n’aurait voulu. Tes traditions et tes croyances auraient été moquées et bafouées, puis oubliées. Cela t’aurait probablement plongé dans une profonde dépression avec un risque certain de sombrer dans l’alcoolisme.
Tout compte fait, il valait mieux que tu t’éteignes il y a longtemps. Cela t’a épargné beaucoup de soucis. Force est de constater qu’il n’y a de la place que pour une espèce humaine sur cette Terre : celle qui s’adapte le mieux, qui est la plus invasive et la plus agressive.
Tu étais sans doute trop gentil, comme on dit. Et c’est pour cela aussi que j’aurais voulu te rencontrer en cette période particulière de l’année. Tu es infiniment plus intéressant que le père Noël. Celui-là, certes, arrive les cadeaux plein les bras. Mais en comparaison avec ce que tu m’as offert, c’est littéralement insignifiant. J’ai reçu 2 % de tes gènes grâce à nos ancêtres qui avaient eu jadis la bonne idée de se mélanger. N’est-ce pas plus important que des cadeaux de Noël ?
Tes gènes, je les porte fièrement et je déclare officiellement être un peu néandertalienne moi aussi. Cela ne sera pas inscrit sur mon passeport, mais cela reste dans un coin de ma tête. Juste à côté de cette envie folle de notre rendez-vous improbable.

Veronika

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