Bruxelles, si ordinaire.
J’y suis arrivé avec des pieds de plomb. De toute façon, on ne choisit pas, c’est la qu’ont été placées toutes les institutions. Ville synonyme de « bureaucratie européenne », le Berlaymont faisant face au Juste Lipse, tout ici me faisait horreur. Impression immédiatement confirmée le premier jour : la laideur des bâtiments de verre mono-fonctionnels faisant parfaitement écho à cette masse anonyme d’employés et de cadres, mallette dans une main, les yeux rivés sur leur téléphone et marchant hâtivement, comme s’ils cherchaient à échapper eux aussi à ce triste environnement.
Alors oui, on m’a parlé du fait que ce n’était pas si vrai que ça, et j’ai évidemment lu les guides touristiques. Mais ça se limite toujours à la même séquence : la Grand-Place, le Manneken-Pis, aller manger une gaufre, des frites, de la bière ou du chocolat, tout ça en lisant une BD. Tout ça c’est bien joli mais on fait quoi le deuxième jour ?
C’était sans compter sur le hasard. Un jour, je me suis perdu dans ce labyrinthe de rues anonymes et sans le faire exprès je suis sorti du quartier européen. Je n’aurais d’ailleurs pas soupçonné que l’on puisse si aisément entrer et sortir de ce quartier, et j’en venais même à m’étonner qu’il n’y ait pas de murs ou de grilles électrifiées qui nous séparaient de la population locale, un oubli sans doute. À peine arrivé de l’autre côté, j’ai eu l’impression d’être transporté. Étais-je encore à Bruxelles ou dans le marché d’une ville méditerranéenne ou nord-africaine ? C’était assez inouï d’entendre subitement des sonorités différentes, d’apercevoir des saveurs différentes sur les étals des magasins. Je ne rêvais pourtant pas, j’étais toujours à Bruxelles et je n’avais même pas été très loin.
Je regagnai prestement le quartier tout gris où j’ai mes habitudes. Recouvrant mes esprits, je me fis le serment de reprendre les explorations dès le lendemain.
Nouvelle incursion, cette fois-ci vers le sud. Je découvre alors un tout autre Bruxelles que celui que j’avais vu jusqu’alors. Bon sang, mais c’est quoi cette ville ? Pourquoi cherche-t-elle à me mettre à bout à toujours changer de visage, là où il serait tellement confortable de rester dans la catégorie étroite de « ville de bureaux, siège de l’Union européenne, activité principale : bureaux » ? Deux étangs paisibles où il est bon de flâner, une architecture tout à fait différente, pas de tout celle du Manneken-Pis.
Et si j’essayais à présent de me diriger vers telle contrée inconnue, deux rues plus loin ? Ah oui, la jeunesse estudiantinne, qui s’enflamme pour défendre des valeurs sociétales, des bars branchés, et même des prix plus abordables que dans mon quartier gris. Finalement, c’est pas si mal.
Une impression m’envahit alors. Bruxelles, c’est combien de villes différentes, finalement ? Et est-ce qu’il n’y aurait pas plutôt une sorte de magicien caché, qui commande tout cela, et qui s’amuse à changer le décor lorsque je vais quelque part. Comme s’il cherchait à m’embrouiller.
Cela fait déjà quelques mois maintenant et mes explorations n’en finissent toujours pas : quartier portuguais, turc, chinois, et combien d’autres – la ville ayant même poussé le vice jusqu’à avoir une « place du Lux » qui n’est pas le quartier luxembourgeois – et je ne comprends décidément plus rien. À chaque fois que je pense avoir compris Bruxelles je lui découvre un nouveau visage. C’est devenu épuisant, ça ne s’arrête jamais. Car il y a les quartiers, certes, mais il y a aussi les gens : des artistes, des réfugiés, ou tous ces gens qui bien qu’étrangers ne sont aucunement employés par les institutions internationales. Sans oublier les Belges évidemment : j’en ai rencontrés et il n’y en a pas deux qui sont pareils, croyez-moi. Et au-delà de ça, la ville change de visage selon les saisons, les pelouses du Cinquantenaire remplies à ras bord dès que pointent les premiers rayons de soleil du printemps, la plage artificielle près du canal l’été, les feuilles mortes au Rouge-Cloître, ou les marchés de Noël : 4 salles, 4 ambiances… ou devrait-je dire 4000 ?
Bruxelles, je ne sais pas si tu as cherché à te moquer de moi, à me rendre fou, à jouer avec mes nerfs, mais sache en tout cas que ton tour de magie est bien réussi.






